La vie passe comme un souffle. On se retourne et, déjà, les années se sont enchainées en un claquement de doigts. Les enfants qu'on berçait la veille dans le rocking-chair sont devenus de grands ados hyper-actifs, le temps a fait tranquillement son œuvre sur les visages et sur les corps. La Vie comme elle vient aurait pu être un regard en arrière nostalgique sur la vie d’une famille ordinaire : comment les rêves se sont écorchés sur les murs de la réalité, comment l’époque a changé la donne dans un monde où tout s’achète et tout se vend, comment l’amour a pu s’user en douceur. Pourtant, si la mélancolie n’est jamais bien loin, c’est un film résolument heureux et plein d’espérance, la tête haute tournée vers demain, même si demain est incertain.
Le film a le visage et la force d’Irène, il est porté par son énergie, par sa joie, par son optimisme. Irène est chef de tribu, à la tête d’une famille nombreuse de 4 garçons. L’aîné est un grand costaud champion de hand-ball, le second un rondouillard taiseux qui ne se déplace jamais sans son trombone et les deux derniers des jumeaux turbulents. Dans sa maison fissurée et rafistolée où les portes se bloquent régulièrement, où la tuyauterie est souvent capricieuse et où le désordre perpétuel règne en maître, Irène vit à deux cents à l’heure pour que chacun ne manque de rien et que la joie de vivre ait toujours le dernier mot. Car les raisons de la morosité sont nombreuses et pourraient bien effacer définitivement le pétillement dans ses grands yeux : la future maison familiale, juste en face de l'actuelle, toujours espérée, jamais terminée, laissée en chantier faute d'argent ; la petite librairie-papeterie de son mari, au bord de la faillite faute de clients ; enfin sa sœur, qui cache sous des lunettes noires les bleus des coups portés par un mari violent… Irène pourrait s’effondrer, se résigner, baisser les bras, mais quelque chose la pousse à toujours voir le beau, le tendre dans les détails de son quotidien : la virée à la plage en famille ; le clapotis de l’eau sur la bouée quand elle se laisse flotter avec l’un de ses enfants blotti contre elle ; la fierté d’un diplôme enfin obtenu courageusement en cours du soir, elle qui avait tout arrêté pour sa famille ; et puis les bras de son mari, même s’il ne répare pas les robinets cassés. Alors bien sûr, parfois, elle craque, elle pète un petit plomb en solo, elle mange des cochonneries avec frénésie en écoutant de la musique entraînante… Parfois aussi elle pleure, quand l’émotion déborde – penser que son aîné va quitter le nid pour l'autre bout du monde et un contrat de handballeur professionnel dans une équipe allemande ! – et qu’elle se laisse submerger par un souvenir, une sensation qui balaie tout…
Entre joie et tristesse, la vie d’Irène, sa vie comme elle vient, est celle d’une mère, d’une femme, d’une épouse qui jongle comme elle peut pour rester fidèle à ses rêves, ordinaires sans doute mais ce sont les siens. D’une beauté délicate, ce film raconte aussi, en filigrane, les fractures d’une société qui laisse sur le carreaux les classes moyennes, la fin des commerces de proximité et le système D qui s’impose malgré toutes les bonnes intentions de formation, de stabilité.
Vous l'avez compris, La Vie comme elle vient, c'est un film de super-héros du genre indestructible qui, grâce à leurs pouvoirs – tendresse, fidélité à leurs proches et à leurs valeurs, honnêteté vis-à-vis de ce qu’ils sont – bravent toutes les tempêtes.
Utopia