Sofia, étudiante en anthropologie, devrait être à même de pouvoir déceler les liens nocifs, toxiques qui pèsent sur sa vie. Mais, c’est bien connu, on a toujours du mal à apercevoir chez soi ce que l’on voit clairement et qu’on étudie chez les autres. C’est tout naturellement qu’elle accompagne Rose, sa mère, à Almería, station balnéaire au sud de l’Espagne. Non pas pour des vacances entre mère et fille mais pour consulter un médecin, un éminent spécialiste, qui pourrait réussir à soigner la maladie de Rose, qui se trouve clouée dans un fauteuil roulant depuis plus de vingt ans sans réelle cause physique. Il s’avère rapidement qu’il n’y a pas que la chaleur de cet été qui est étouffante au sein de la petite maison qu’elles ont louée en bord de mer. Malgré une complicité apparente, on sent rapidement que Rose est une mère possessive qui ne laisse pas beaucoup de champ libre à sa fille, laquelle doit répondre sur le champ à ses moindres demandes. Elle est en souffrance permanente, elle considère donc comme normal que sa fille soit là pour elle n’importe quand et pour n’importe quoi. Le plus petit moment de réel partage entre ces deux-là est suivi d’une remarque, d’une pique lancée à la volée, comme si de rien n’était, de la mère à la fille. Sofia – elle a l’habitude – ne relève pas et préfère prendre un peu le large, aller piquer une tête dans la Méditerranée. C’est sur la plage qu’elle voit Ingrid pour la première fois. Fière, altière, dégageant une liberté sereine, trottant à cheval sur le sable chaud. Sofia s’abandonne au charme magnétique d’Ingrid, vivant enfin ses propres expériences, suivant ses propres envies. Elle pense à elle avant tout, grignotant petit à petit les liens qui la retiennent auprès de sa mère. S’imposer, cela s’apprend et voir la jeune femme s’y essayer est franchement libérateur. Rose fait face à ce qu’elle prend pour un abandon pur et simple en envisageant les pires extrémités alors qu’elle prend en même temps conscience que si elle est clouée dans un fauteuil depuis si longtemps, les raisons pourraient bien être liées à des événements refoulés. « Je me crois en Enfer, donc j’y suis » nous dit Rimbaud. Rien ne pourrait finalement mieux décrire Rose.
Utopia