Au beau milieu des imposants juges de la cour suprême américaine jure une frêle silhouette féminine. Deux têtes moins haute que ses confrères, trois tours de taille moins large, mais quel esprit ! Minuscule par la corpulence, immense par la renommée, en cinq décennies Ruth Bader Ginsburg, RBG pour les intimes, est devenue l’une des icônes incontestée de la pop culture américaine. À 85 ans elle fascine gars et filles de tous les âges, même ceux de l’insaisissable génération Y. Ruth est sans doute la seule juge au monde à avoir des mugs à son effigie, des tee-shirts, des pins… On la représente en Wonder Woman, avec une couronne sur la tête, voire en madone ! Certain-e-s vont jusqu’à faire tatouer son portrait sur leur chair tendre. Cela pourrait paraître n’être qu’un effet de mode démonstratif, superficiel, tout ce que la délicate octogénaire n’est pas, même si elle se plie avec humour aux selfies qu’on lui réclame.
La notoriété l’a rattrapée alors qu’elle ne courait pas après, simple résultante d’une vie de convictions fortes, de travail acharné, de combats rondement menés. Tout en s’amusant de la situation, RBG continue d’œuvrer inlassablement contre les discriminations, pour l’égalité de tous les citoyens. Elle le fit pour les femmes, elle le fit pour les noirs, pour les gays, fit progresser les droits de chacune, de chacun, à commencer par les siens. En 1954, avant que Ruth ne l’obtienne en premier lieu pour elle-même, il était impensable qu’une femme, encore moins une mère, juive qui plus est, puisse gravir les échelons de la magistrature. Mais tous allaient devoir reconnaître que derrière ce charmant sourire timide, se cachait un cerveau des plus brillants, une adversaire redoutable, capable d’abattre n’importe quels préjugés avec ses seuls mots percutants.
La force de ce documentaire complice est d’approcher l’impressionnante RBG dans une intimité bien dosée qui nous la rend familière. On se prend à aimer tout ce qu’on découvre d’elle. Son parcours courageux, sa puissante histoire d’amour avec un mari épatant qui aura la finesse de ne pas l’entraver. On la suit dans ses nuits de travail, dans ses séances de coaching où elle nous éberlue en faisant des pompes ! Impossible de ne pas s’attacher à cette héroïne des temps modernes, hors normes, qui joue avec les apparences. Qui croirait que sous ce chignon sévère se cache une des femmes les plus progressistes de notre époque et qui n’a pas fini de nous le démontrer ? Et en plus elle est drôle !
Utopia