Tenet joue avec les échelles de temps. Le héros central, Le Protagoniste, en cette fiction apparemment futuriste (quoique impossible à dater), en est un voyageur particulier. Mais pas n’importe quel voyageur, allant et venant au long de l’axe des horloges, jouant à saute-présent, entre les différentes temporalités, comme la première fiction venue oscillant entre flash-back et projections vers l’avenir : non seulement ce héros sans nom, secret, s’extirpe de la chronologie, devient l’agent d’un récit déstructuré, mais son action a lieu dans une narration débarrassée de presque toute démarcation de la linéarité temporelle : les différents temps que nous connaissons, et qui organisent l’histoire, sont perturbés et même, parfois, se confondent. Vertigineuse privation de repères, à en perdre la tête : au même moment, le passé peut coexister avec le futur, voire même précéder celui-ci. A mettre les temps différents sur le même plan, nous voici, comme le héros, parfois déboussolés, cherchant à distinguer ce qui a lieu de ce qui a déjà eu lieu, dans la simultanéité des événements que l’on voit.
Le voyage temporel est une vieille lubie des hommes et de leurs fictions. Christopher Nolan n’est pas le premier à l’accomplir, et lui-même l’a expérimenté depuis Memento, mais Tenet a ceci d’extraordinaire qu’il s’inscrit dans cet exercice en remettant en cause la notion même du temps, et de sa logique. En effaçant les lignes organisant le temps, il rend caduques l’avant et l’après. Il n’y a plus, dès lors, de cause et de conséquence, de liens de causalité entre les faits et leurs effets, de causalité linéaire et donc, d’explication : à la place, un champ large d’interactions, soit le champ ouvert des possibles, avec la possibilité induite que l’effet précède la cause.
On ne saurait reprocher à Tenet ce désordre causal certes déconcertant, l’obscurité labyrinthique des enchaînements inextricables de causalités partielles, elles-mêmes reliées à un réseau de causes et d’effets plus ou moins définis. Car il importe peu de ne pas tout comprendre de Tenet. Il faut accepter de se perdre et de ne pas ouvrir toutes les portes de la rationalité et de la connaissance. Il faut assumer l’abandon de la réalité physique et la conviction que tout peut être expliqué, se convaincre dès lors que tout est transformation et affaire de perception. Bande à part