Interdit aux moins de 16 ans avec avertissement
Bad luck banging... nous plonge sans attendre dans la question du registre des images puisque le film commence par une séquence de plusieurs minutes de sextape maison : relation explicite et consentie entre deux adultes filmée avec un téléphone portable. Sans doute Radu Jude tient-il à nous montrer ces images sans fard et dans leur intégralité car elles sont précisément l’objet du nœud moral à venir. Le couple que l’on voit, c’est Emi, une enseignante en école primaire, et son mari Eugeu qui a laissé la vidéo se retrouver sur un site internet pour adultes. Malgré les efforts d’Emi pour en contenir la diffusion, sa réputation et son poste se retrouvent vite en jeu : les parents d’élèves réclament sa démission. Mais elle n’entend pas céder à la pression, estimant qu’elle n’a rien à se reprocher. Qui ces images choquent-elles vraiment ? Et quelles responsabilités ces parents pointent-ils, puisque leurs enfants ne sont de toute façon pas censés tomber sur ce genre d’images ? Nous voilà plongés dans un dilemme détonnant autour de la vie privée à l’ère des images virales et des fausses valeurs morales en circulation.
Pour rendre compte de cette problématique, l’iconoclaste Radu Jude a conçu une structure en trois parties. Dans la première, nous suivons Emi dans les rues de Bucarest, affairée à contenir le problème par téléphone ou en rendant visite à différents protagonistes. C’est l’occasion pour le cinéaste de confronter notre regard à une autre vulgarité ambiante, celle de la société roumaine filmée en pleine pandémie. La deuxième partie, proche de l’essai, prend congé du récit à proprement parler pour proposer un abécédaire élaboré à partir d’images issues de multiples sources (archives, internet, publicité, arts, etc), puisant dans l’histoire lointaine ou récente de la Roumanie afin d’évoquer ses incohérences les plus gênantes. Enfin, la troisième partie revient à notre époque pour suivre la fin de journée d’Emi, confrontée à ses opposants dans la cour de l’école transformée en tribunal populaire, où chacun expose avec de moins en moins de retenue ses arguments les plus cruels et réactionnaires, jusqu’à une fin particulièrement étonnante. L’architecture ainsi construite par Radu Jude laisse pleinement le spectateur construire son regard sur les rouages de ce que notre époque peut fabriquer de plus sombre.
Utopia