À partir d’une nouvelle de Haruki Murakami, d’une cinquantaine de pages, le Japonais Ryusuke Hamaguchi apporte toute la délicatesse et sa grâce cinématographique, déroulant sur près de trois heures les tourments d’un homme qui cherche à surmonter le deuil de sa femme et la culpabilité qu’il éprouve à ne pas avoir été tout à fait sincère avec elle. Cette quête de vérité et de rédemption, Yusuke Kafuku, acteur et metteur en scène de théâtre, l’accomplit dans un double mouvement : à travers les mots de Tchekhov dont il répète Oncle Vania en vue d’un festival à Hiroshima et à bord de sa Saab rouge au cours des va-et-vient entre son logement et le lieu de la répétition.
Le temps de son séjour, il a dû à regret en céder le volant - il ne supportait pas que sa femme la conduise - au chauffeur qu’on lui a assigné. Misaki, jeune fille modeste et discrète, est une habile conductrice et porte également en elle le poids d’une enfance douloureuse. Au fil des trajets, une amitié va se nouer entre eux leur permettant d’affronter ensemble leur passé et de « continuer à vivre » comme le déclame Sonia à Vania à la fin de la pièce.
C’est à ce voyage terrestre comme intérieur que nous entraîne Ryusuke Hamaguchi, dans une mise en scène éblouissante et envoûtante qui jamais ne nous fait ressentir l’ennui. Le pouvoir des mots et sa faculté à révéler les êtres en est le fil rouge. Ceux de sa femme qui lui racontait des histoires après avoir fait l’amour, ceux prononcés par les acteurs parce que « jouer c’est vivre », ceux qui font jaillir la vérité ou au contraire ceux qu’on regrette de ne jamais avoir prononcés.
La Croix