Ema s’ouvre sur un plan noir et le son d’une corne de brume, comme le signal que ce qui s’apprête à débarquer à l’image n’est pas une mince affaire et mérite une mise en garde. Ce qui déboule n’est en effet rien de moins qu’une planète en flammes, un astre ardent qui sert de décor à une chorégraphie saccadée, mais qui brûle aussi à l’intérieur même de l’héroïne. Autour d’Ema tout est en feu, au sens propre ou au figuré : la scène, les feux rouges, les gens. L’ouverture du nouveau film de Pablo Larraìn est pour ainsi dire flamboyante.
Mais le film happe aussi d’emblée par ses ruptures de ton brutales, à l’image des danses épileptiques répétées par la troupe d’Ema. Il y a tout de suite une violente urgence qui brûle. L’image et la musique ont beau être chaleureuses et accueillantes, elles ne cachent pas la cruauté cinglante des dialogues. Ema danse, mais elle est elle-même en feu : au moment où on les découvre, elle et son compagnon (Gael Garcia Bernal, plus beau que jamais), viennent d’agir de façon particulièrement terrible en tant que parents.
On n’en révèlera pas davantage sur cette trame. Celle-ci serait digne de servir de base au mélodrame le plus exacerbé. Mais Larraìn choisit un ton beaucoup plus inattendu, quitte à emprunter des virages secs.
Long-métrage foncièrement féministe, qui ne prend pas de gants avec ses personnages masculins, Ema montre des femmes dans la pluralité la plus riche, interrogeant leur propre instinct maternel, leur propre indépendance, leur propre corps, s’épanouissant dans une sororité dévorante et hyper-sensuelle. Androgynes, ultra-féminines, en jogging ou en talons hauts, cheveux décolorés, teintés en bleu, sur-maquillées, parées de bijoux ou au naturel, elles font leur révolution par la danse et le sexe. Quand Ema arrive à ses fins, c’est comme si le monde s’était apaisé. Même s’il a fallu pour cela déchaîner un chaos de cinéma provocant si ce n’est provocateur.
Pablo Larraín filme un Chili d’aujourd’hui moderne. A priori moins politique que dans ses précédents films. Quoique filmer la jeunesse, ça l’est éminemment. Il parvient à faire un cinéma aussi sévère que sublime, aussi amer que chaleureux. À l’image, il souffle le chaud, le froid et nous, sommes littéralement pétrifiés par le talent.
Le Polyester & Cinema Teaser