A Kokkola, charmante petite ville finlandaise non loin du cercle arctique, ce ne sont pas les déjantés qui manquent ! Comme Romu-Mattila, un marginal qui décide de partir s'installer en Suède avec son chien, des trafiquants d'alcool accompagnés d'un cochon ou encore une gardienne de phare qui rêve de se lancer dans une grande aventure spatiale.
Le réalisateur de cette triple petite merveille, Juho Kuosmanen, n’est pas un inconnu, récipiendaire en 2021 d’un très mérité Grand Prix au Festival de Cannes pour son formidable Compartiment N° 6, voyage ferroviaire fascinant et rencontres improbables aux confins de la Russie. Soucieux de ne pas se laisser enfermer dans un genre ou un style, vers quoi entrainent souvent les honneurs festivaliers, et en digne héritier d’un Aki Kaurismäki, l’ami Kuosmanen fait souffler, avec sa trilogie modeste mais géniale, un vent de liberté sur le – et son – cinéma.
La première histoire qui nous est contée reprend malicieusement, sur un mode tragi-comique, l’abécédaire cher au déjà cité Kaurismaki, figure tutélaire du cinéma finnois : tragédie sociale tournée en dérision, minimalisme des dialogues ici sous forme de cartons, et romance impromptue. Un vieux marginal, vivant reclus dans une maison brinquebalante au cœur d’un village isolé, se voit un jour signifier son expulsion, à peine dédommagée de quelques piécettes. Résigné, l’homme rassemble quelques affaires hétéroclites sur une charrette et part les vendre à travers la ville. Mais il se voit rejeté, jusqu’à ce que son destin croise celui d’une chanteuse de bar…
Clairement plus dans la tonalité du burlesque classique chaplinesque, le deuxième volet suit un couple de bouilleurs de cru qui, pour survivre, fabriquent illégalement une eau-de-vie fort prisée des soiffards du voisinage. Escroqués par un joueur filou, les dealers de gnôle sont arrêtés par un duo de policiers improbables, sosies de Laurel et Hardy. Le résultat est hilarant et le film n’a rien à envier aux slapsticks trépidants façon Mack Sennet, qui l’ont visiblement inspiré.
L’ultime volet de la trilogie, probablement le plus beau, parle à la fois d’amour inconditionnel et de voyage sur la lune. On y découvre un couple étonnant de gardiens de phare qui nagent en plein bonheur, jusqu’au jour où leur employeur les met au chômage pour cause d’obsolescence, depuis la démocratisation des GPS marins. Déjà mis à mal par la mort de leur chien, le cœur de l’homme n’y résiste pas. Qu’à cela ne tienne : la femme se lance sur le champ dans la fabrication d’une fusée, pour retrouver chien et mari dans l’au-delà – situé comme chacun sait sur la lune. Superbe hommage drôlatique à Méliès, ce chapitre clôt admirablement cette petite heure de douce folie et de pure beauté.
Dans un horizon cinématographique trop souvent formaté, on ne peut que rendre grâce à Juho Kuosmanen – qu’il faut décidément suivre de près – de nous offrir cette parenthèse enchantée.
D'après Utopia