Pedro Almodóvar vieillit au même rythme que son cinéma, avec ce que cela comporte d’avantages et de renoncements. L’âge aidant, le cinéaste s’attaque à un sujet longtemps tabou en Espagne, qu’il n’avait qu’effleuré, notamment dans La Mauvaise Education : les séquelles du franquisme. En particulier ses victimes, jetées dans les fosses communes, que leurs descendants aimeraient enterrer dignement. Sujet qu’Almodóvar aborde par le biais du mélodrame, soit l’histoire de deux mères célibataires à qui le destin joue des tours. A la jonction de la grande et de la petite histoire se trouve Janis, une photographe de mode, élevée par sa grand-mère, dont elle a promis de retrouver et d’inhumer le père, tué par des phalangistes. Or Janis se découvre enceinte à 40 ans et accouche d’une fille en même temps qu’Ana, la lycéenne qui partage sa chambre d’hôpital et n’a pas désiré sa grossesse. Dès lors, les vies de ces deux battantes, abandonnées par les hommes, seront inextricablement liées.
L’affiche originale du film, sans doute l’avez vous aperçue, était percutante : on y voyait le téton d’un sein encadré dans le contour d’un œil d’où perlait une goutte de lait, comme une larme… C’était beau et provocateur comme du Almodóvar, comme un tableau, une œuvre d’art qui déjà, sans l’ombre d’un visage célèbre, nous embarquait dans le mystère d’une histoire. En d’autres temps peut-être, l’affiche audacieuse aurait été choisie et nous l’aurions fièrement exposée dans le hall du ciné, à dire vrai, ça aurait eu de la gueule ! Mais les algorithmes, les remous de la toile et probablement un petit retour de morale bien pensante ont eu raison d’elle. Censurée, le téton a finalement laissé place à un visuel assez classe mais plus convenu, plus policé, dont on suppose que les spécialistes en marketing ont estimé qu’il était plus vendeur… C'est triste !
Mais s’il faut reconnaître que les temps ont changé, le cinéma d’Almodóvar, lui, n’en finit pas d’être fidèle à ses fondamentaux et à sa singularité, tout en se réinventant en permanence. Ce nouveau film embrasse deux de ses thèmes de prédilection : la maternité et l’histoire de son pays. Dans un ballet gracieux dont il maîtrise en virtuose la chorégraphie, Pedro Almodóvar signe un nouveau mélo flamboyant, qui se dévoile à nos yeux, nos cœurs et nos âmes dans un écrin coloré où chaque objet a sa place, au millimètre près. Cela pourrait paraître un peu trop précieux et artificiel chez d’autres mais chez lui, ça sonne tout simplement juste tant le fond est indissociable de ce formalisme magnifique.
Le Nouvel Obs et Utopia