Le très beau plan d’ouverture nous montre deux adolescents, dont on comprend vite qu’ils sont frères, allongés dans l’herbe. Ils discutent de leur avenir rêvé qui mêle dans un fantasme hétéroclite vie rangée et prospère et gloire footballistique du côté du Camp Nou, le stade mythique du FC Barcelone, le club de référence quand on est un jeune chilien. Le plan s’élargit, laissant découvrir la beauté luxuriante d’une montagne recouverte de grands arbres, mais ouvrant à droite une tout autre perspective : un grand mur barre l’écran, celui du centre éducatif fermé dans lequel les deux frères sont embastillés depuis des semaines, des mois peut-être.
La cinéaste chilienne d’origine mapuche Claudia Huaiquamilla avait eu l’occasion de découvrir le monde des centres éducatifs fermés lors de la sortie de son premier long métrage Mala junta, qu’on lui avait demandé de présenter auprès de mineurs incarcérés. Elle avait été impressionnée, à la fois par les lieux la plupart du temps inadaptés à des enfants et adolescents – très souvent d’anciennes prisons pour adultes (l’un de ces centres « éducatifs » a même été construit dans un ancien centre de torture du régime Pinochet !) – et par les récits de vie des jeunes spectateurs rencontrés. De ces rencontres et d’un fait divers tragique survenu dans un de ces centres, elle a fait la matière de ce film, magnifique portrait d’adolescents aux vies brisées si tôt et au futur si incertain. Quand on a 15 ans ou moins, comme Angel et Franco, les deux frères sur lesquels le récit se concentre, être enfermé entre quatre murs d’enceinte, vivre au rythme inlassablement monotone de contraintes quotidiennes millimétrées et souvent ubuesques, sans avoir de perspective précise de sortie, dans l’attente d’un procès non daté… c’est difficilement supportable.
La force du film de Claudia Huaiquimilla est de dénoncer un système carcéral et judiciaire totalement inadapté à des garçons à peine sortis de l’enfance, sans jamais tomber dans la caricature. Si les gardiens sont parfois aussi brutaux que peuvent l’être ceux d’une prison pour adultes – dans un pays où l’administration pénitentiaire porte le lourd héritage d’avoir été le bras armé d’une dictature –, un magnifique personnage d’enseignante et assistante sociale vient apporter lumière et espoir : elle fait presque office de mère de substitution pour beaucoup de ces gamins qui n’en ont plus ou qui la voie lors de trop rares visites. Une femme – superbement campée par Paulina Garcia – qui doit composer avec les paradoxes de sa situation, lucide sur l’échec du système qui ne permettra de sauver que peu de ses élèves mais qui s’accroche pour apporter cette empathie et ces notes d’espoir dont ils manquent tant. Avec de très belles scènes comme celle où elle demande à chacun de rédiger et lire publiquement une lettre à la personne qui leur est la plus chère…
Mais surtout, au-delà des réalités les plus dures et qui ne sont pas édulcorées (la présence d’un garçon qui tente d’abuser des plus jeunes, les anxiolytiques dont les gardiens abusent pour calmer le mal être), Claudia Huaiquimilla filme magnifiquement la fraternité, qu’elle soit biologique entre les deux héros ou amicale entre tous ces garçons qui ne peuvent compter que sur leurs copains de dortoir pour tenir. Mais cette fraternité sera-t-elle suffisante pour calmer les envies de révolte et de tentative d’évasion ?
Utopia