Synthétiser sur une simple critique le brio d’un film comme The Brutalist peut difficilement lui rendre justice. On pourrait, a contrario, dédier tout un texte à son plan-séquence introductif, qui définit avec maestria toute la complexité du programme qui nous attend. Dans un chaos assourdissant, la caméra suit de dos une silhouette, ou plutôt un buste étouffé par ce cadre oppressant. Difficilement, l’homme s’extrait de la foule, se fraye un chemin dans des couloirs sombres et indéfinissables, rendus abstraits par l’absence de profondeur de champ.
On se croirait dans Le Fils de Saul de László Nemes, et pour cause : ce personnage, nommé László Tóth, est sorti depuis peu des camps de concentration. L’ambiguïté spatiale de cette entrée en matière est clairement voulue par Brady Corbet : en sous-entendant l’irreprésentable dans cette cacophonie industrielle, le cinéaste montre déjà que la fuite de Tóth de cette Europe dévastée ne l’empêche pas d’emporter avec lui ses traumatismes. Là réside le caillou qui ne quittera plus la chaussure du long-métrage. The Brutalist est loin de figurer le parcours d’un architecte formé au Bauhaus, reparti de zéro avant d’être repéré pour son talent. C’est avant tout une œuvre qui déconstruit par petites touches de plus en plus explicites ces États-Unis triomphants de l’après-guerre. Un coup de maître.
D’après Ecran Large