Mutique et solitaire, William Tell, ancien militaire devenu joueur de poker, sillonne les casinos, fuyant un passé qui le hante. Il croise alors la route de Cirk, jeune homme instable obsédé par l’idée de se venger d’un haut gradé avec qui Tell a eu autrefois des démêlés. Alors qu’il prépare un tournoi décisif, Tell prend Cirk sous son aile, bien décidé à le détourner des chemins de la violence, qu’il a jadis trop bien connus…
Le cinéma de Paul Schrader véhicule une humanité passionnante à observer, depuis ses débuts comme scénariste (Taxi Driver de Martin Scorsese) et réalisateur (American Gigolo). Outre sa plume offerte aux autres, son oeuvre de cinéaste est riche d’une bonne vingtaine de films, des récits forts en intensité et égrenés le long des quarante dernières années. Son nouvel opus brille d’un éclat particulier. Sans esbroufe ni clinquant, il dresse le portrait d’un homme. Une âme torturée sous une carapace impeccable. L’incarnation même d’une Amérique hantée par ses démons. Tel son légendaire homonyme suisse, as de l’arbalète, William Tell a ici été confronté à l’autorité dirigeante et en a payé le prix, avant de se retrouver, malgré lui, face à son passé, au carrefour de deux obsessions de la nation états-unienne : l’hégémonie et l’appât du gain. Cet homme, réfugié dans la bulle du monde du jeu, sort en effet de prison, où il a purgé sa peine pour graves exactions commises en Irak quand il était soldat.
La particularité de la mise en scène de Schrader est de contourner le piège de l’efficacité, du rythme effréné, des effets de style et de la surenchère au goût du jour. Il prend le temps de raconter chaque scène, d’installer chaque ambiance, de donner à ressentir chaque enjeu. Les tourments intérieurs n’en sont que plus palpables. S’en dégage une grande élégance dans le filmage, qui va de pair avec une science des décors enchaînés, de casinos en chambres de motels, de bars en couloirs. Tout confine au feutré et à une sorte de huis clos, dont les quatre protagonistes sont les pions décisifs. La fluidité narrative happe l’attention, telle une lente flèche décochée de la première image à la dernière. Et The Card Counter se pare d’un charme classieux et désuet à la fois, comme une traversée hors du temps.