En pleine nuit, Nadira s’échappe d’un bordel de G B Road, célèbre quartier chaud de Delhi, après avoir poignardé à mort un policier abusif. Elle prend l’argent et quitte les lieux sans se retourner, s’engouffrant dans un bus qui l’amènera à Chatrapur, au sud du pays. Là, elle prend le nom de Renuka et trouve refuge dans une communauté de travailleuses du sexe Devadasi. Peu à peu, elle va se lier avec Devika, une jeune voisine de dix-sept ans aussi docile, fragile, et timide que Renuka nous apparaît rageuse, coriace, et rebelle, brisant par sa seule conduite tous les carcans dans lesquels peuvent être pris les femmes de la petite ville.
Portés par deux superbes interprètes, les deux personnages du film tentent chacune à leur manière de résister dans un monde où la place de la femme est à peu près celle d’un objet négociable. La famille de Devika est essentiellement constituée de femmes, des prêtresses Devadasi que les habitantes de la ville viennent consulter pour résoudre leurs difficultés ou apaiser leurs angoisses, et à qui l’on fait des offrandes de valeur, leur donnant ainsi un certain rang social. Puis progressivement, le voile se lève sur l’envers des pratiques rituelles de ces femmes dévouées à des divinités ou des temples, et l’on découvre la mère de Devika négociant la première nuit de sa fille au plus offrant, ou encore envoyant son autre fille dans le quartier de G B Road vu au début du film : elle ne fait au fond que reproduire ce qu’elle a subi, sans jamais questionner cette institution religieuse séculaire et oppressive, pourtant interdite depuis les années 1980. À l’opposé, Nadira – qui emprunte son pseudo à la déesse Ranuka que ces Devadasi vénèrent – semble en constante rébellion envers cette même institution. Et pourtant, cette fille sans attaches, aux allures brusques et presque rebutantes, va, sous l’influence de la douce Devika, se laisser progressivement apprivoiser, voir même s’attacher ! Et les deux femmes, au contact l’une de l’autre, vont peu à peu s’émanciper.
The Shameless, qu’on peut traduire par Celles qui n’ont pas honte, porte en lui cette question centrale de la honte de soi, comme reflet de l’évolution d’une société qui, sous couvert de bienséance puis de réforme sociale, a dégradé progressivement le statut social de ces Devadasi, les faisant passer de courtisanes sacrées, hautement considérées, à de simples travailleuses du sexe, appartenant désormais aux couches sociales les plus pauvres. Et plus généralement, le film affronte la question de la honte portée par la femme dans une société patriarcale grandement codifiée, et envisage les voies possibles de son affranchissement.