Après La loi du marché, sobre mais marquant drame social et intime qui illustrait les maux contemporains de notre système, puis En Guerre, nouvelle estocade furieusement engagée contre l’injustice et la cruauté des politiques patronales, Stéphane Brizé et Vincent Lindon rempilent une troisième fois. Ils passent cette fois de l’autre côté, celui des dirigeants, pour conclure ce que certains pourraient qualifier de trilogie des nuisances capitalistes. Car le capitalisme n’oppresse pas seulement les ouvriers et leurs défenseurs syndiqués, il étouffe aussi les cadres. Sommé par sa hiérarchie de mener à bien un plan social qui va asséner un énième coup de bâton sur la nuque de ses salariés et en conduire d’autres vers une plus grande précarité, Philippe Lemesle (Vincent Lindon) campe un dirigeant à l’agonie. Les signes (apparents) de richesse ne sauraient masquer l’effondrement de son existence professionnelle comme personnelle, alors que son épouse (Sandrine Kiberlain), sacrifiée en silence sur l’autel de l’évolution de carrière de son mari, entame une procédure de divorce et de séparation des biens. Pris dans un étau qui ne cesse de resserrer davantage, le cadre devient également victime d’un système inhumain dominé par les marchés financiers. Dans l’impasse, il fait à son tour l’expérience de l’individualisme lorsqu’il s’agit de proposer une alternative à ce plan social, puis aux pressions et même au chantage, quand il s’agit de trouver un fusible pour porter le chapeau. Mais l’homme, tel un pantin, peut-il avancer, droit sur ses jambes, si le collectif n’avance pas au même rythme et dans le même sens ?

Avec Un autre monde, film miroir de son précédent, Stéphane Brizé illustre – avec la même limpidité fataliste – la brutalité du monde de l’entreprise. Avec un jeu toujours en retenue mais riche de nuances, Vincent Lindon livre une nouvelle prestation remarquable dans le costume de ce leader écartelé entre des directives impitoyables et une considération certaine pour ceux dont il a la charge.

Le bleu du miroir